L’Alsace : une identité « postnationale »?

Publié le 31 août 2020
par Jean-Marie Woehrling

La discussion autour de l’identité de l’Alsace a rebondi avec la création de la Collectivité européenne d’Alsace. C’est un sujet déjà souvent abordé mais les interrogations et défiances subsistent dans le public. Il nous parait utile de l’éclairer par quelques observations générales.

  • Ce dont il est question ici c’est de l’identité de l’Alsace et non de l’identité individuelle des habitants de l’Alsace. Il existe un fait collectif « Alsace ». Cette réalité sociale n’est pas immuable : elle est l’objet de constructions et de déconstructions constantes en fonction de l’environnement politique, social ou culturel. Cette perception de l’Alsace comme fait collectif est constituée à partir de l’histoire, de souvenirs familiaux, de références culturelles, de la perception d’une situation géographique, de l’osmose avec un paysage et avec des monuments, mais aussi de pratiques et de mentalités collectives, de traditions partagées, de récits imaginaires et de visions d’avenir. Tout ceci contribue au bon fonctionnement de la société alsacienne. On peut parler d’un capital social qui constitue une ressource pour le groupe humain concerné. C’est un patrimoine matériel et immatériel dans lequel chaque génération fait son tri pour construire son futur. Telle est notre définition de l’identité de l’Alsace.
  • Parler d’identité de l’Alsace suppose donc de reconnaître une « société alsacienne ». Cette vision est contestée par ceux qui pensent que cette société n’existe pas, qu’elle n’existe plus ou qu’elle ne doit pas exister. Pour les tenants de cette approche, l’identité culturelle est un gros mot et l’identité alsacienne une menace. Il existe un très fort courant de dévalorisation de l’identité alsacienne : une atteinte à l’unité nationale, une source « d’enfermement identitaire », une « nostalgie suspecte », une référence ethnique, voire raciste et de fond pangermaniste, etc. Une caractéristique importante de l’identité de l’Alsace réside dans la virulence des attaques dont elle fait l’objet. On ne trouve rien de comparable dans d’autres régions françaises. L’identité de l’Alsace est donc une identité sur la défensive et souvent malaisée, voire honteuse. L’Alsace a de la peine à affirmer son identité avec fierté et sûreté.
  • Comme toute identité, celle de l’Alsace résulte de constructions. Après 1918, dans le sillage de Hansi, on a donné à l’Alsace une identité folkloriste : colombages, cigognes et choucroute, pour évacuer la revendication autonomiste d’une nation alsacienne. Même si l’Alsace à la Hansi a des aspects « charmants », l’y enfermer garantit son impuissance et la réduit à l’insipidité. Alors quel autre « récit régional » peut donner à l’Alsace du XXIe siècle force et attrait pour qu’y adhèrent ses habitants de tous horizons ?
  • Certains imaginent le modèle écossais, corse, ou catalan : l’Alsace selon cette construction revient à revendiquer un peuple et une identité nationale dans une République française qui a également reconnu la nation canaque. Si la guerre de 1914 n’avait pas eu lieu, une nation alsacienne-lorraine avec son propre Etat aurait pu s’affirmer à l’image du Luxembourg. Mais elle a eu lieu et nous sommes au XXIe siècle, dans une Europe qui propose aux identités régionales d’autres perspectives que le séparatisme. L’Alsace qui a souffert des nationalismes ne va pas inventer un nationalisme alsacien.
  • L’identité de l’Alsace est dès lors naturellement « postnationale ». C’est la construction proposée par René Schickele et que portons : une Alsace faite de la rencontre de deux cultures, de deux langues, de deux traditions politiques et sociales, la française et l’allemande, dans la volonté de réunir le meilleur de ces deux traditions pour participer à la construction commune de l’Europe.

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